L’arrivée de Cachou dans ma vie se situe plus de douze ans après le décès de Coucou.
Pour camper le paysage, je dirai simplement que je suis rentrée d’Afrique à l’âge de 14 ans, mon père étant nommé à Paris au siège de son entreprise et ayant fait ce choix pour me permettre de poursuivre « de bonnes études » .
Ma jeunesse parisienne a été teintée d’ambivalence. En négatif une grande difficulté d’adaptation à la grisaille et à cette ville manquant de lumière une bonne partie de l’année, la découverte de l’anonymat, un lycée de filles où je ne me sentais pas en phase avec mes camarades, qui avaient deux ans de plus que moi (à cet âge c’est énorme). Je quittais difficilement mon enfance et elles étaient déjà des femmes. En positif, un changement de lycée dès l’année suivante pour une classe de Math Elem mixte, le début des copains, des boums, des rallyes etc…
J’avais oublié Coucou, même si je gardais au fond de moi un sentiment de culpabilité. En outre, je savais ne pas avoir la disponibilité pour prendre un autre chat. Et ce d’autant plus que ma mère avait toujours son loulou de Poméranie hargneux!
Sous la pression trop forte de mes parents, j’aspirais à la LIBERTE dont je savais qu’elle passerait par la fin de mes études et mon autonomie financière. Mais j’imaginais (en cette époque pré-soixante huitarde) qu’elle passait forcément par le mariage !
Je me suis donc mariée en 1968. Le mariage était prévu en mai et les évènements ont eu pour conséquence son report à fin juin. Il se déroula dans l’intimité avec la famille de mon mari, deux témoins et en l’absence de mes parents.
A cette époque j’avais en effet cessé tout contact avec mes parents, qui s’étaient violemment opposés à mon mariage et m’avaient coupé les vivres, allant jusqu’à m’empêcher d’emporter mes affaires personnelles.
Pendant un an j’ai terminé mes études en travaillant à mi-temps… pas toujours facile, mais je ne voulais pas dépendre de mon mari et de sa famille
Une fois diplômée et salariée à plein temps, une des premières choses que j’ai faites fut de dire à mon mari …. que je voulais UN CHAT.
Un chat ? Tu n’y penses pas ? Il va détruire la moquette, le canapé, le tissu sur les murs (à la mode à l’époque). Soutenu par sa mère qui se mêlait de tout, mon mari refusait obstinément.
Il me fallait donc feinter pour parvenir à mon objectif. Je trouvai la voie : nous adoptâmes un lapin nain.
Cette jolie boule de poils noirs ne ronronnait pas, et faisait ses crottes partout. Mais surtout c’était un rongeur de tissus et de fils électriques. Un jour, en rentrant du bureau, mon mari découvrit que sa chaîne Hifi coûteuse ne fonctionnait plus . Le coupable en fut immédiatement désigné car les fils étaient tous sectionnés … à hauteur de lapin nain !
Le petit animal fut rapidement envoyé à la campagne dans la famille et j’avoue que je ne l’ai guère regretté, la communication avec lui étant restée assez limitée …
Le terrain était prêt pour l’arrivée d’une autre boule de poils noirs, féline celle-là . On surnomma ce petit mâle « Cachou ».
J’ai toujours aimé les chats noirs, peut-être parce qu’ils souffrent d’une réputation totalement injuste de porter malheur. Ce sont d’adorables chatons, parmi les plus câlins et les plus attachés à leurs maîtres.
Pour en savoir davantage sur les chats noirs, n’hésitez pas à consulter cette page : Les chats noirs, chats mal aimés et pourtant si aimables .
Cachou partagea donc notre vie pendant environ 5 ans. Nous l’emmenions à la campagne et mes beaux-parents le gardaient pendant nos absences .
Malgré leurs protestations initiales, ils s’attachèrent aussi à Cachou, qui remplaçait parfaitement le bébé que je ne voulais pas avoir trop vite, pour ne pas nuire à ma carrière.

Cachou était ce qu’on a coutume d’appeler « un chat de gouttière ». Mais son allure élégante et son poil lustré le faisaient ressembler à une mini panthère noire. A Paris bien sûr, il ne sortait jamais, et nous le lui interdisions aussi à la campagne, sachant à quel point la route qui passait devant la maison était dangereuse . Le souvenir amer de Coucou refaisait surface chaque fois que mes beaux-parents essayaient de nous persuader de le laisser sortir.
Au fil des années, mes relations se dégradaient avec ce mari choisi trop vite, pour échapper à l’autorité paternelle, et contre l’avis de mes parents qui avaient perçu l’emprise anormale de sa mère sur lui .
Je m’étais engagée à fond dans mon travail, d’abord d’études économiques, puis d’études de marchés dans un grand groupe de publicité. Je m’orientai ensuite vers la publicité et la communication, qui étaient alors parmi les secteurs les plus ouverts aux cadres féminins.
Au décès de mon beau-père, en 1976, la vie conjugale devint intenable car ma belle-mère s’imposait en permanence chez moi et mon mari, trop gentil, n’osait pas la remettre à sa place.
Un investissement très fort dans mon travail me servait d’exutoire, me permettant d’échapper à ce couple mère-fils dont j’étais chaque jour davantage exclue. Je voyais approcher la trentaine et avec elle l’heure des choix. En effet, si j’avais préféré ne pas avoir d’enfant trop vite, je n’imaginais pas une vie entière sans un bébé à aimer et à voir grandir puis à accompagner vers son avenir .
Si j’adorais Cachou, j’étais néanmoins consciente qu’il était un peu un ersatz de l’enfant que je n’avais pas (pas encore). Je ne pouvais cependant envisager d’élever un enfant dans ce ménage à trois avec sa mère que mon mari m’avait imposé.
Après un dernier ultimatum « c’est elle ou moi » et devant son incapacité à décider d’une vie d’homme, je pris la décision de quitter mon mari. Pour ne pas trop le blesser, je lui proposai dans un premier temps une séparation « pour faire le point ». Au bout de quatre mois il avait déjà, grâce aux petites annonces du Nouvel Observateur, retrouvé une compagne. Ceci ne manqua pas de me conforter dans le bien-fondé de ma décision de divorce.
Je partis donc en 1978, quittant l’appartement familial et la maison de campagne que nous avions conjointement achetée à crédit pour un tout petit studio loué à une amie. Ma liberté n’ayant pas de prix, j’étais prête à tout laisser pour la retrouver .

Tout sauf … Cachou, qui devint ainsi « l’enfant du divorce ». N’allez surtout pas croire que ce petit chat noir avait porté malheur à mon couple, il m’a au contraire permis de développer mon instinct maternel et de quitter celui avec qui j’avais décidé de ne pas continuer ma vie de femme et dont je ne voulais pas faire le père de mes enfants.
Nous divorçâmes par demande acceptée de ma part. Facile d’accepter une situation où je laissais tout. La dernière condition qu’il posa fut de lui laisser aussi Cachou, au motif que ma belle-mère s’y était attachée et serait trop triste de le voir partir . Elle encore ! Et ma douleur de devoir abandonner ainsi mon bébé à cette sorcière, qui était ma rivale et avait détruit ma famille? Non, je dus payer ce prix de l’abandon de ce chat bien aimé contre celui de ma liberté. Sans même un droit de visite évidemment. …
Pour compenser un peu ma tristesse, je fis alors entrer dans ma vie Ophélie, (voir chapitre Ophélie la noire) minuscule boule de poils noirs angora achetée dans une animalerie sur les quais. Pleine de puces et rapidement atteinte d’un coryza naissant, que je soignai avec tout mon amour maternel, Ophélie devint vite ma compagne de femme solitaire en cours de divorce.
Une nuit je me réveillai en plein cauchemar et en sueur : dans mon rêve Ophélie était passée sous une voiture. Heureusement elle dormait tranquillement à mes côtés.
Hélas le lendemain, un bref coup de fil de mon futur ex mari m’apprenait que sa mère avait laissé sortir Cachou à la campagne et que ce pauvre chat bien-aimé avait été écrasé, après une courte vie d’environ 6 ans.
De tous les griefs accumulés contre ma belle-mère, la mort de Cachou est peut-être resté celui qui m’a le plus torturée : je n’aurais jamais dû le lui abandonner. Je m’en suis voulu pendant des années, surprotégeant encore davantage Ophélie… Mais ceci est une autre histoire…