Ophélie aînée de notre famille (1984-1991)

Quand, après une attente de plusieurs mois qui m’ont paru des années, je me suis enfin retrouvée enceinte à 36 ans passés, j’ai lu à peu près tout ce qui avait été publié sur la coexistence entre chat et bébé. Plutôt alarmant parfois : des nouveaux-nés étouffés par le chat de la maison qui voulait profiter de leur chaleur, et parfois même agressés par celui-ci, devenu jaloux comme un tigre.

Mes parents me disaient bien évidemment « Débarrasse toi de ce chat », te traitant comme un obstacle à l’accueil des petits enfants qu’ils espéraient depuis des années. Mon compagnon, habitué à toi mais te portant une affection très modérée, espérait aussi bénéficier de l’occasion pour te voir partir et adopter le husky dont il rêvait (mais pas moi !)

En mars 1984 est né un petit garçon de 2,8 kg, Grégoire (nom modifié) juste un peu plus léger que toi, qui pesais 3,8 kg. Il était clair que le risque d’étouffement était envisageable, même si j’écartai immédiatement le risque d’agression en t’observant : habituée au calme, les cris de bébés t’effrayaient et tu pensais bien plus à fuir ce petit être criard qu’à t’en approcher.

« Pas de chat dans la chambre du bébé » !

dirent en choeur mes parents et le père de Grégoire.

Mais sachant qu’un chat est liquide, s’infiltre dans un espace minimum et ne supporte pas de ne pas visiter ce qui se trouve derrière une porte, même entrouverte, comment mettre en pratique cette résolution ? Fermer en permanence la porte comportait le risque de ne pas entendre le bébé pleurer voire même s’étouffer par une fausse route (nous n’avions pas encore à l’époque le systèmes d’écoute à distance).

Une idée me vint : faire une petite fenêtre dans la chambre de Grégoire, à hauteur d’yeux humains, donc trop petite et trop haute pour qu’un chat non entraîné dans un cirque puisse y accéder.

Tu ne réussis jamais en effet à sauter à travers ladite fenêtre. D’ailleurs si tu avais réussi à y passer la tête ton petit ventre s’y serait coincé et tu serais vite redescendue par terre.

Tu as dû être très jalouse, les premières semaines, de ce petit être qui accaparaît mon temps mon attention et … mon lait. Cependant je n’ai jamais observé de ta part la moindre agressivité et, très vite, Grégoire et toi êtes devenus grands amis. Enfin, j’entends par là que tu le laissais sans protester t’attraper les oreilles, te tirer les moustaches en poussant des petits cris.

Plus tard, il a commencé à se déplacer à quatre pattes, mais lorsque vous faisiez la course, tu le distançais sans difficulté et il criait en te cherchant dans la maison.

Nous habitions alors rue du Montparnasse, en face du collège Stanislas. A l’époque il y avait un grand jardin sur lequel donnaient les fenêtre de notre séjour.

Tu as sans doute beaucoup apprécié le calme retrouvé lorsque Grégoire est entré à la crèche, à la rentrée de septembre (car j’avais réussi à bloquer mes vacances à la suite du congé maternité). Et au lieu de passer tes journées entières à m’attendre, tu recevais dès 16h30 les caresses de la jeune fille au pair que nous avions recrutée pour s’occuper du bébé le soir en attendant mon retour du bureau.

Les mois passèrent, nous allions partout avec nos deux bébés, Grégoire et toi : chez mes parents à Nice, et même en Allemagne dans la maison de ta grand mère.

Mais cette sérénité a bientôt connu sa fin. A peine plus d’un an après la naissance de Grégoire, on t’a transplanté de la rue du Montparnasse à la rue Huysmans voisine. Cette frénésie de mouvement coïncidait avec l’arrivée prochaine d’une petite soeur pour Grégoire. Pas facile de déménager avec un bébé et un chat ….sans compter la multitude de cartons à emballer et à déballer et les travaux d’aménagement que nous n’avions pas les moyens de sous-traiter : je voulais profiter des week-ends pour m’y atteler.

Je crois que tu n’as guère apprécié cette transition, mais un évènement imprévu a contribué à te consoler : en posant du liège dans une salle de bains, j’ai eu des contractions et le gynécologue a décidé de m’aliter pour un mois et demi à 6 mois de grossesse, début juin 1985.

Tu as contribué à rendre moins difficiles cette période de mon alitement forcé en partageant mon lit une bonne partie de la journée, ne pouvant cependant en profiter la nuit, car mon compagnon t’exilait alors dans la cuisine …. Pas dans la chambre du bébé bien sûr, ni celle du bébé à naître (pas de mauvaises habitudes).

Après un été abrégé à cause de mon immobilisation jusque fin juillet, passé principalement à Paris, pour ne pas prendre de risque, et auquel tu as bien sûr participé, la concurrence est arrivée de nouveau, le 15 septembre, sous les traits d’une petite fille prénommée Alice (changement de nom).

Tu as vite fait bon ménage avec elle car vous aviez un grand point commun: votre vie se déroulait la nuit, la journée étant réservée à votre sommeil. J’avais beau la réveiller, elle réclamait sa tétée et retombait ensuite dans un profond sommeil jusqu’à la tétée suivante etc… Vers 19 h elle émergeait de sa torpeur diurne et commençait à gazouiller, réclamer les bras, se plaindre lorsque les dents ont poussé. Au moment où Grégoire allait au lit, Alice commençait sa journée. Dur, dur pour moi, mais je pense que ça t’amusait d’avoir de la compagnie le soir, et tu avais une nette préférence pour Alice depuis que Grégoire s’était amusé à te couper les moustaches en ayant volé les petits ciseaux à bouts ronds de la trousse d’écolier prématurément offerte par sa grand mère !

Très en colère, j’avais dû lui expliquer à quoi servent les moustaches pour un chat, mais difficile d’expliquer cela à un enfant de deux ans! Tu ne lui en as pas tenu rigueur, mais tu te méfiais un peu de sa turbulence et de son imagination.

Deux ans plus tard, avec la naissance d’Annabelle (nom modifié), tu étais habituée au remue-ménage ambiant, même si cette petite fille là était particulièrement sage. Elle suçait ses deux doigts du milieu et s’endormait gentiment, alors que sa soeur aînée restait toujours éveillée tard.

Tu te plaisais, je crois, dans cette ambiance où tu ne passais jamais de longues heures seule. Ton souci était plutôt de te trouver des cachettes pour dormir tranquillement! Mais, comme nous ne t’emmenions plus en vacances, te faisant garder par notre nounou ou notre jeune fille au pair, tu profitais aussi de ces périodes de répit pour mener une vie de chat tranquille à laquelle tu aspirais, ayant dépassé dix ans en 1988.

Et lorsque tu pensais pouvoir tranquillement profiter de tes vieux jours est arrivé un tourbillon : Guillaume (nom modifié). Infatigable, toujours en mouvement et visiblement très intéressé par ce petit être tout noir qui marchait comme lui à quatre pattes ! Très vite tu as développé avec Guillaume une grande complicité, toi avec tes treize ans (68 ans en âge humain) et lui au début de sa vie ! Tu as été pour lui la grand mère qu’il n’a hélas guère connue, ma mère étant décédée avant sa naissance et son autre grand mère, qui vivait en Allemagne et n’était plus en bonne santé, ne l’ayant vu que les jours suivant sa naissance.

Ophélie avec toute la famille à la naissance de Guillaume : de gauche à droite Erik, Alice et sa poupée, Annabelle et sa poupée, Ophélie (dans mes bras) et Guillaume dans les bras de Grégoire)

Ophélie partageant le parc de Guillaume

Hélas, ta vie de chat était déjà bien entamée quand nous avons de nouveau déménagé, quittant la rue Huysmans pour la rue Le Verrier, dans un duplex où chaque enfant pouvait avoir sa chambre. Evidemment tu as suivi, gentiment, visitant avec inquiétude ce lieu qui devait te sembler immense, descendant l’escalier des chambres à la cuisine à l’odeur de ta pâtée.

Guillaume, qui avait 18 mois lors de notre déménagement, t’aimait très fort et n’était pas toujours très doux avec toi, mais jamais tu n’as donné le moindre coup de griffe à ce petit bonhomme turbulent. Tu vieillissais mais étais encore très belle . … Nous ne pensions pas que tu pouvais bientôt nous quitter, nous n’imaginions pas notre famille sans toi !

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